La lactofermentation est une méthode de conservation vivante qui utilise le sel, et qui requiert peu de temps et d'énergie. La différence entre la pourriture et des lactofermentations délicieuses se résume principalement à la présence de sel et l'absence d'oxygène. Le sel limite la croissance des micro-organismes néfastes, et favorise ceux que l'on désire cultiver pour conserver les aliments. Ces bactéries, les Lactobacillus, sont bénéfiques pour l'humain. Elles sont naturellement présentes dans notre système digestif, dans l'air ambiant, et sur les légumes. C'est l'une des premières familles de bactéries colonisant le tube digestif des nouveau-nés.
Pour une fermentation réussie, le facteur le plus important à considérer est un minimum d'oxygène. Les lactobacilles sont anaérobiques, et la présence d'oxygène permet le développement d'organismes indésirables (principalement des champignons). Durant le processus, les lactobacilles engendrent un environnement acide qui agit comme un antibiotique sélectif, c'est pourquoi les légumes doivent y être submergés en permanence.
En plus d'assurer une bonne fermentation, le sel permet de conserver le croquant des légumes. Et plus il y a de sel, plus la fermentation est ralentie. S'il y a trop de sel, aucun micro-organisme ne pourra s'y développer. En jouant avec la température et la quantité de sel, on peut ainsi affecter la durée de conservation. On obtient une fermentation rapide, avec peu de sel et un environnement chaud, ou une fermentation lente, au frais avec plus de sel. Pour allonger leur durée de conservation, il vaut mieux réfrigérer les fermentations après quelques semaines. La température froide du réfrigérateur va ralentir le développement des bactéries et les légumes demeureront fermes plus longtemps.
Presque tous les légumes peuvent être lactofermentés. Selon la forme et la teneur en eau des légumes, on distingue deux méthodes de préparation. La première pour les légumes râpés et contenant beaucoup d'eau, la seconde pour les morceaux grossiers et les légumes entiers.
Les légumes fermentent mieux sous la protection de la saumure. Pour certaines fermentations, comme la choucroute, le sel est utilisé pour tirer l'eau hors des légumes, formant une intense saumure à base de jus végétal. Pour d'autres, comme les cornichons, la saumure est préparée séparément et versée sur les légumes. Elle sert de protection contre la croissance des microorganismes qui causent la putréfaction, et favorise le développement des espèces de bactéries désirables, les lactobacilles. La quantité de sel peut varier considérablement, mais on vise 2 à 3 %. Plus vous utilisez de sel, plus la fermentation sera ralentie. Cependant, avec trop de sel, aucun microorganisme ne pourra s'y développer.
Lavez bien vos légumes jusqu'à enlever toutes traces de terre. Les meilleurs choux sont des variétés dites 'à choucroute', car ils contiennent beaucoup d'eau. Ils deviendront plus tendres et sucrés après le premier gel. Le chou est préférablement écœuré, puis haché au robot culinaire. Les racines sont avantageusement râpées au robot, car l'eau sera facilement tirée par le sel (saveur et succès garanti).
Une fois les légumes lavés et coupés, ils sont pesés, puis mélangés avec les épices et le sel.
Le sel de table est à éviter parce qu'il contient de l'iode et des agents anti-agglomérants, qui risquent de nuire aux microorganismes. Utilisez de préférence du sel de mer, sinon du gros sel ou du sel kascher.
On vise habituellement 2 à 3% de sel. Il existe différentes moutures de sel, c'est pourquoi vous devez impérativement faire ces mesures avec le poids plutôt que le volume pour obtenir la concentration désirée. Pour ce faire, vous devez d'abord peser vos ingrédients, puis faire ce calcul simple;
Poids des légumes (kg) * 1000 * % de sel désiré = Grammes de sels nécessaires
Ex: 15 kg * 1,2 * 10 = 180 g
(15 kg de légumes, mélangés à 180 g de sel, donne une teneur de sel de 1,2 %)
Une fois la quantité de sel déterminée, vous devez le mélanger uniformément avec les légumes. En brassant, massez le chou avec vos mains et après quelques minutes vous pourrez voir l'eau en sortir. À ce moment vous êtes prêt pour l'étape suivante.
Prenez le chou haché à deux mains, et placez-le dans un seau propre. À chaque deux ou trois poignées, compactez-le autant que possible, jusqu'à ce que le jus fasse surface. Vous pouvez le compacter avec les poings ou un pilon spécialement conçu à cette fin. Remplissez le seau, en prenant soin de laisser une marge suffisante pour y ranger le poids (on peut emplir un seau standard de 23L avec une cruche de 1.89L et environ 12 kg de légumes râpés).
===== Mise en seau (suite) =====
Lorsque votre contenant est rempli de légumes, vous devez trouver un objet qui pourra se glisser étroitement à l'intérieur. Laissés à eux-mêmes, les légumes flotteraient à la surface, où l'exposition à l'air les ferait pourrir. Pour les garder submergés sous la protection de la saumure, ils doivent être maintenus au fond à l'aide d'un poids.
Pour ce faire, les légumes sont d'abord placés dans un seau, puis recouverts d'une assiette de diamètre légèrement inférieur. En guise de poids, vous pouvez déposer sur l'assiette une cruche remplie d'eau. Après quelques heures, l'eau devrait remonter et submerger toute la surface de l'assiette. Profitez de ce délai pour nettoyer les rebords intérieurs du seau avec un linge propre ou des serviettes de papier.
Au début de la fermentation, l'activité intense des bactéries génère beaucoup de CO2, qui agit comme un coussin protecteur à la surface du liquide. Cependant, lorsque cette activité ralentit, l'oxygène s'y mélange et permet le développement d'organismes compétiteurs. Une solution simple à ce problème consiste à placer un lampion sur l'assiette, puis à fermer le seau avec un couvercle étanche. Une fois tout l'oxygène consumé, le lampion s'éteindra de lui-même. Un papier d'aluminium au-dessus du lampion évitera que la chaleur ne perce le couvercle (voir photos). Il est préférable d'utiliser deux lampions par seau, au cas où l'un d'eux s'éteindrait prématurément.
La production de gaz dans un contenant fermé risque d'engendrer une surpression et des fuites éventuelles. En prévention, il suffit de percer un trou à travers le couvercle et d'y insérer une bonde hydraulique remplie d'eau. Ces bondes sont bon marché et se trouvent dans toutes les boutiques spécialisées en fabrication de bière & vin. Une fois le seau fermé, il sera conservé quelques semaines à température pièce (20-24°C).
Dans le cas où il manquerait d'eau pour recouvrir les légumes, vous devrez préparer quelques litres de saumure. Pour la préparer, il s'agit de faire le même calcul que pour la proportion de sel des légumes. Sachant qu'un litre d'eau pèse 1kg, il suffit de faire ce calcul:
Litres d'eau * 1000 * % de sel désiré = Grammes de sels nécessaires
Ex: 2 L * 1 * 10 = 20 g
(2 L d'eau, mélangés à 20 g de sel, donne une teneur de sel de 1 %)
Prenez le temps de bien dissoudre le sel avant de l'ajouter sur vos légumes.
À mesure que le temps passe, les textures évoluent, les saveurs se mélangent et deviennent plus prononcées. Pour éviter les mauvaises surprises, il est préférable de faire un suivi hebdomadaire de la fermentation;
Après 14 à 21 jours en seau, selon votre préférence, vous devrez subdiviser les légumes dans des contenants hermétiques plus petits, puis les placer au froid pour stabiliser la fermentation. L'absence d'air y sera tout aussi importante, étant donné que l'état avancé de fermentation signifie une production moindre, voire nulle, de gaz protecteur (C02).
La méthode commerciale d'ensachage emploie le plus souvent des sacs scellés sous vide. Cependant, cela nécessite une scelleuse conçue spécialement à cette fin (scelleuse sous vide à chambre), qui est malheureusement trop dispendieuse pour un usage domestique. Alternativement, vous pouvez utiliser des contenants en verre hermétiques (pots mason) ou en plastique. Dans tous les cas, il est préférable d'utiliser du plastique alimentaire, car le sel et l'acidité risquent de faire rouiller le métal, rendant les pots très difficiles à ouvrir. Certaines personnes préconisent d'enduire l'intérieur des couvercles de métal d'huile de coco pour les protéger de la corrosion.
La mise en pot se déroule comme suit;
Selon la température et la concentration de sel, les fermentations peuvent se conserver plusieurs mois, voire plusieurs années.
ATTENTION: Si les contenants sont conservés à température pièce, ils présentent un haut risque de surpression. Le verre pose un risque d'éclatement sérieux, c'est pourquoi dans tous les cas, il est important de vérifier fréquemment leur pression. S'il est difficile d'enfoncer le centre du couvercle, le contenant doit être ouvert puis refermé pour en faire sortir l'excès de gaz.
Vous n'avez pas besoin d'une recette précise pour faire des lactofermentations. Il vous suffit de respecter les principes expliqués plus haut, et de viser une salinité de 2 à 3 % (20 à 30g de sel par kilo). À l'exception des tomates rouges, et de certains autres aliments mous, vous pouvez utiliser pratiquement tous les légumes à votre disposition. Attention toutefois aux betteraves, qui doivent être utilisées avec parcimonie compte tenu de leur forte concentration en sucre. Dans tous les cas, vous pouvez faire un suivi et apprécier l'évolution de la saveur au fil des jours. Voici quelques exemples pour vous inspirer.
Une variante de la choucroute, traditionnelle d'Allemagne, préparée à base de navets. Vous pouvez aussi utiliser des rutabagas, betteraves…
INGRÉDIENTS (pour 1 litre) :
PRÉPARATION :
Traditionnel de Corée, le Kimchi est une fermentation épicée particulièrement délicieuse. La recette traditionnelle est expliquée en détail sur le site de Maangchi.
Les cornichons demandent un suivi attentif. Trop peu de sel, une fermentation trop longue, ou trop chaude, peut résulter en des cornichons mous et fragiles. Pour conserver le croustillant, un moyen efficace est d'ajouter des feuilles riches en tanins, telles que celles provenant des vignes, des cerises acides ou du raifort. Néanmoins, les légumes mous tels que les cornichons et les zucchinis nécessitent un suivi serré de l'évolution de la fermentation.
INGRÉDIENTS (pour 4 litres) :
PRÉPARATION :
Les produits de la fermentation sont omniprésents dans notre vie quotidienne; fromages, yogourts, pains, saucissons, tamari, café, chocolats, vanille, vinaigres, choucroutes, vins, bières et olives en sont tous issus. La fermentation crée des saveurs fortes et complexes qui doivent parfois être apprivoisées, mais qui ne laissent personne indifférent.
Il est de plus en plus clair qu'une microflore bactérienne saine est essentielle à la santé et au bien-être. Les bactéries présentes dans nos intestins sont composées de communautés complexes qui nous aident à digérer les aliments, à assimiler et synthétiser les éléments nutritifs, à réglementer nos réponses immunitaires et à réguler de nombreux autres aspects de notre fonctionnement.
Compte tenu de notre exposition fréquente à des produits chimiques qui tuent les bactéries, telles que les antibiotiques, les conservants, les produits de nettoyage antibactériens, et l'eau chlorée, nous pouvons bénéficier des aliments riches en bactéries, qui stimulent l'immunité et peuvent aider à reconstituer et à diversifier notre flore intestinale, première ligne de défense contre les maladies. De plus, la diversité des bactéries trouvées dans les aliments fermentés dépasse ce que l'on trouve dans la plupart des suppléments de probiotiques.
Les aliments fermentés sont littéralement prédigérés par les micro-organismes. Les minéraux y deviennent plus disponibles pour notre corps, et certains nutriments complexes qui seraient habituellement difficiles à décomposer y sont simplifiés.
En plus de simplifier les nutriments, les bactéries libèrent leurs propres métabolites, dont certains composés uniques qui se sont avérés posséder des qualités bénéfiques surprenantes. Par exemple, les isothiocyanates dans la choucroute sont considérés comme des anti-cancérigènes, et la nattokinase trouvée dans le soja fermenté japonais (natto) est utilisée comme un diluant du sang pour réguler la coagulation et briser les fibres qui peuvent s'accumuler sur les parois des vaisseaux sanguins. L'étude scientifique des sous-produits de la fermentation étant relativement nouvelle, d'autres recherches seront susceptibles d'en révéler plusieurs autres.
Avant l'avènement des conserves et de la réfrigération domestique, la fermentation a été l'un des rares moyens disponibles pour la conservation des aliments. Elle demeure un important mode de conservation; les fromages à pâte dure pour le lait, les saucissons et les jambons pour la viande, la choucroute pour le chou, le vin et le cidre pour les fruits… Ces transformations, ainsi que bien d'autres ferments ont joué un rôle important pour la survie de nombreux peuples.
Certains ferments contribuent à l'efficacité énergétique en réduisant considérablement le temps de cuisson. Par exemple, le tempeh réduit le temps nécessaire pour cuire les graines de soja par environ 90%. Il en va de même pour les lactofermentations, qui éliminent complètement le recours à la chaleur (pasteurisation). L'incertitude quant à la disponibilité future de l'énergie abordable pourrait éventuellement nous faire réfléchir et nous rappeler de la pertinence des modes de conservation ancestraux.
En théorie, la fermentation est plus sécuritaire que le cannage à domicile (pasteurisation). Le principe de la stérilisation et de la pasteurisation est de tuer toute trace de vie dans les aliments. Dans l'éventualité d'une pasteurisation mal exécutée, certains organismes dangereux, notamment le botulisme, peuvent survivre et y proliférer librement, en l'absence de compétiteurs. Dans le cas des lactofermentations, il se constitue dans chaque pot un écosystème qui se défend par différents moyens contre les organismes pathogènes; les bactéries y produisent de l'acide lactique et du CO2, qui régulent la croissance des indésirables. En résumé, la lactofermentation crée des conditions défavorables aux pathogènes.
Pour plus de détails concernant la lactofermentation, ainsi que tous les autres modes de conservation vivante, je vous invite fortement à vous procurer l'incontournable Wild Fermentation (2003), ou sa version la plus récente, The Art of Fermentation (2012). Les recettes et les informations présentées dans ce document ont été largement inspirées, et parfois traduites à partir de ces excellents ouvrages et d'autres articles du même auteur. Sandor Ellix Katz a fait un travail de synthèse remarquable du vaste monde des fermentations, ses livres étant une source précieuse d'informations qui dépassera certainement vos attentes. Une vulgarisation complète et incontournable.
Source: Fongivore.ca
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